No Sleep Tonight.[terminé]

Je n'avais aucune idée de comment réagir à cette fin de soirée. Je n'avais pas su comment réagir de toute la soirée à vrai dire. De son entrée avec fracas dans ma chambre au début de l'orage, de sa demande pour rester avec moi et de cet échange de baisers torrides. A présent, je me sentais comme un con - ce n'était certes, pas la première fois que ce sentiment me traversais - mais là, il était accentué par le fait que quoi que je fasse, j'avais l'impression que ce n'était pas moi. Depuis quand est-ce que j'agissais de la sorte ? Depuis quand je reposais une bière après l'avoir volontairement chercher dans le frigo ? Cette soirée n'était pas normale, ce n'était plus à prouver. Pourtant, l'ambiance se détendait à nouveau entre Julianna et moi et je devais avoir en être heureux.
La brunette accepta mes excuses et j'en fus réjouis. Elle me tendit même la bière que j'avais prévu de boire avant de me rétracter soudainement. Je l'acceptais. Cependant, quand je lui demanda de rester auprès de moi, de finir cette nuit si étrange avec elle et qu'elle m'avouer ne pas pouvoir, j'en fus déçu mais je ne lui en voulais pas. Après ce qu'il venait de se passer en un laps de temps si court, je ne pouvais vraiment pas lui en vouloir. « Pas de problème. » Je n'étais pas sûrs qu'un jour nous ririons de ce souvenir alors je restais muet à ce propos. Ce n'était probablement pas le moment d'argumenter à ce sujet en plus. J'allais lui souhaiter une bonne nuit pour la seconde fois et retourner dans ma chambre, ma bière à la main, quand finalement, Julianna revint sur sa décision. Je ne pus empêcher mon sourire de s'étendre. Vu de l'extérieur, je devais même sembler… niais. A cette pensée, je me ressaisis. Birdie également puisqu'elle décida de regarder un film d'horreur. « Un film d'horreur à 4h du mat ? Oh ben oui, pourquoi pas ! » déclarais-je en suivant ma demie soeur. J'étais d'ailleurs très enthousiaste à cette idée. Doucement nous nous retrouvions à nouveau dans les lieux du crime. Je rebranchais tous les appareils électroniques tandis que la demoiselle s'occupait de mettre le DVD en marche.
Pour la bienséance, je décidais de ne pas me déshabiller et de rester dans ces vieux vêtements que j'avais enfilé quelques minutes auparavant. Je m'assis sur mon lit, les jambes fléchies. J'étais dans ma chambre et pourtant, je me sentais étrangement mal à l'aise. Du moins, jusqu'à ce que Birdie lance le film et que nous décidions de trinquer. Ma bonne humeur revint au galop. « Eh bien… trinquons à ce merveilleux film et à notre survie dans la capitale ? » Pourquoi pas ? Nos bouteilles s'entrechoquèrent et je profitais de cette gorgée de bière bien matinale.
Au fur et à mesure que le film passait, je remarquais que j'avais du mal à me concentrer, bien trop occupé à jeter des coup d'oeil en coin à Julianna. Freddy était remarquable dans cette version, bien qu'un peu lent par moment. Par contre, cette Maggie était bien agaçante. Après tout, personne n'est parfait, j'espérais simplement qu'elle ne tarde pas à se faire transpercer le coeur par notre cher ami. « J'aurais jamais pensé que tu aimais ce genre de film en tout cas. » finis-je par lancer au bout d'une dizaine de minutes. « Finalement, on dirait qu'on a un point en commun ! » Je marquais une courte pause, cherchant mes mots « Dis, Julianna… tout à l'heure, tu parlais de destin, que peut-être on s'est arrêté parce que c'était ce qu'il fallait… tu le pensais réellement ? »

Certains êtres humains ne possèdent aucune expression faciale. Joyeux, tristes, en colère... Quelque soit l'émotion qui les traverse, les traits de leurs visages restent inaltérés. J'ai toujours trouvé cela gênant, surtout que certains de ses spécimens sont à l'heure actuelle acteurs... Toutefois, Cassidy ne souffrait absolument pas de ce symptôme. Je pouvais lire ses changements d'état d'esprit inscrits partout sur sa figure. Et cela compliquait énormément les choses. Il avait eut l'air successivement perdu, triste, confus et enfin, réjoui, quand j'avais accepté de passer le reste de la soirée en sa compagnie. Était-ce si important pour lui de se rattraper auprès de moi ? Et ne pouvait t-il pas laisser tomber son rôle d'adorable cocker ? J'avais juste envie de le serrer dans mes bras, maintenant. Il ne manquait plus que ça ! Finalement, c'est pour cela que je détestais autant sa compagnie, il me transformait totalement. Je me sentais... vulnérable. Et que dire de la sensation de confort que je ressentais alors que nous regardions un film ensemble comme deux colocataires qui appréciaient la compagnie l'un de l'autre ? Heureusement, j'avais eu la présence d'esprit de choisir un film d'horreur qui ne faisait pas peur. L'ambiance ne pourrait en être que meilleure. Quoique... une comédie romantique aurait pu être une bonne vengeance... Je me décevais pour le coup.

A présent, nous étions chacun à une extrémité du lit, Cassidy était recroquevillé comme s'il avait peur que je le touche à nouveau. Je ne fis aucun commentaire sur sa tenue mais finalement, je crois que je le préfère nu plutôt que vêtu de tels oripeaux... Heureusement, la bière et Freddy semblaient susceptibles d'adoucir les mœurs. Bientôt nous nous détendîmes sans nous en rendre compte. « Eh bien… trinquons à ce merveilleux film et à notre survie dans la capitale ? » Je réfléchis sérieusement à la question avant d'opiner et de tendre mon bras pour atteindre sa canette. Ce soir, plus que jamais, je n'étais pas d'humeur contradictoire. Après un léger tintement, signe que j'étais parvenu à la toucher, je ne pus m'empêcher de renchérir. « Tu as l'impression de survivre toi ? Je crois que je suis la plus mauvaise guide de musée de tous les temps. J'en suis même venues aux mains avec une cliente l'autre jour... Enfin, à part le job, je dois avouer que je me plais ici. Cette ville est spéciale, je crois. » Je ne rêvais que de garder mes distances et pourtant je me confiais à lui comme si c'était son rôle de m'écouter dire des choses aussi stupides. Je ris nerveusement. « Enfin, après le Canada et l'Allemagne, tout me paraît génial en fait. » . Je reportais mon attention sur l'écran et sur ma bière, soucieuse de ne pas avoir à croiser son regard. Je pus alors constater que je restais quand même bien moins ridicule que le film qui se déroulait. Gosh, j'étais tellement en mauvais état que j'avais attrapé le mauvais Freddy. Et maintenant, je souffrais encore plus que Maggie tant cette version était kitsch. A tel point, que je me surpris à bénir Cassidy quand il fit diversion. « J'aurais jamais pensé que tu aimais ce genre de film en tout cas. Finalement, on dirait qu'on a un point en commun ! » Je répondis sans méchanceté mais avec une pointe de malice. Je tenais à conserver tout de même une infime part de ma personnalité, même si en une nuit, celle-ci avait cruellement souffert. « Je n'aime pas celui là en tout cas ! Mais oui, j'aime les films d'horreur. Franchement, on se connaît depuis un petit bout de temps maintenant... Tu croyais que je regardais quoi ? Coup de foudre à Nothing Hill ? » Je fis un grimace éloquente, avant d'adoucir cette pique. « Et puis, on n'a pas qu'un seul point commun, quand même. On a des parents tarés, des noms de merde, on est irlandais... On aurait peut être gagné à s'allier finalement ! »

J'avais beaucoup parlé pour une simple remarque, je me rendais compte maintenant. En plus, visiblement Cassidy avait quelque chose à me demander. « Dis, Julianna… tout à l'heure, tu parlais de destin, que peut-être on s'est arrêté parce que c'était ce qu'il fallait… tu le pensais réellement ? » Aie, c'était une question difficile. Je me mordis la lèvre, remis une mèche de cheveux en place et autres petits gestes nerveux avant de répondre. Je ne voulais pas être sincère. Je ne voulais pas être blessante. Je ne voulais pas mentir. En fait, je ne voulais pas répondre du tout. Mais que faire ? Faire semblant de dormir à nouveau ? Un peu pathétique. Non, j'avais jamais vu Cassidy aussi sérieux, aussi social. Il fallait que je le récompense pour cela. « Non et oui... J'étais en colère. Je ne crois pas au destin. Karma à la rigueur, mais pas au destin. Cela dit, qu'est-ce qui se serait passé ensuite si on avait continué ? » Ahah, question gênante, n'est-ce pas ? Chacun son tour mon cher Bingham !

Je fus agréablement surpris de la tournure que prenait la conversation avec Julianna. Je posais une simple question et sans crier gare, elle se dévoilait un peu plus. Elle se confiait à moi sur son job alors que je ne l'avais même pas félicité quand elle avait décroché le poste. J'avais juste été satisfait de savoir qu'elle allait avoir de quoi m'aider à payer le loyer et que nous n'allions pas finir sous un pont. Je m'esclaffais tout de même quand elle avoua en être venue aux mains avec une cliente au musée. Je n'étais donc pas le seul être humain avec lequel elle avait des problèmes ? C'était dans un sens… rassurant et terrifiant. A mon tour, je décidais de répondre franchement. De ne pas éluder la question pour garder un peu de mystère. Il n'y avait pas de raison. « Comme tu dis, après le Canada et l'Allemagne, tout devient génial. Mais personnellement, j'ai vraiment pas à me plaindre, j'avais toujours voulu venir à Londres »
D'ailleurs, son évocation de Coup de foudre à Notting Hill me fis sourire intérieurement. Parce que oui, j'avais vu ce film un soir ou j'avais voulu voir les décors de Londres quand je vivais encore en Ecosse. Autant dire que ce film avait été niais, et que je m'étais bien fendu la poire, mais au moins, j'avais vu ce classique. Par contre, je ne pu réprimer le fou rire qui venait quand elle parla de nos points communs. C'était tout à fait exacte. « C'est vrai qu'on en a pas mal de point commun en fait ! » Même si je détestais mes origines irlandaises, pour une fois, je ne tressaillis pas quand elle me le fit remarquer. Aussi, il fallait bien que j'assume qu'en effet, j'étais irlandais. Heureusement que je n'y avais jamais mis les pieds. Enfin, ça ne m'avait pas empêcher d'entendre des rumeurs disant qu'ils ne savaient pas prononcé des mots simples comme « Colorado » ou « Ohio ». De quoi avoir honte. « Mais pour tout dire c'est vrai que je n'avais pas idée du genre de film que tu aimes et c'est vrai que c'est probablement le Freddy le plus comique de l'histoire du cinéma. J'espère qu'elle va crever la Maggie » achevais-je en rigolant. J'avais connu des adaptations bien plus palpitantes, mais après tout, ce n'était pas forcément un mal. Au moins, on rigolait bien, et après la nuit qui s'était déroulée, toute la tension qui s'était échappée, ce n'était pas gagné.

Et puis, de nouveau la conversation pris une tournure que j'avais involontairement aiguillé. Pourquoi avais-je posé cette question à Julianna ? D'accord, je voulais réellement savoir ce qui se passait dans sa tête et j'avais eu ma réponse. Elle avait été en colère. Elle relança la conversation sur ce même sujet. J'étais gêné. Je ne pouvais la regarder en face alors je fixais l'écran tout en réfléchissant. Autant j'avais envie de savoir ce qu'il se passait dans sa tête, autant je n'étais pas prêt à affronter ce qui se passait dans la mienne. Tout le problème était là. Finalement, je lui jetais un coup d'oeil. Après un silence assez pesant, je me décidais à répondre. Mal à l'aise. « Uhm… Franchement… Je n'en sais rien ; je trouve ça assez flippant en fait. Je ne sais pas quoi en penser. Ca aurait été quelqu'un d'autre je me serais barré, mais là c'est toi… et de toute façon, on vit ensemble donc bon... » J'avais peur que cette confidence me poursuive jusqu'à la fin de ma vie. Jamais je n'avais parlé à quelqu'un de cette façon. Même avec Caroline je n'avais jamais eu ce genre de conversation. « Tain… j'sais pas ce qui me prends, c'est la première fois que je parle comme ça à quelqu'un. » déclarais-je, sincère. J'enfuis mon visage dans mes mains l'espace de quelques secondes ; ne sachant pas vraiment si c'était la fatigue qui me faisait agir de la sorte ou pas.

Je ne savais pas ce qui m'avait décidé à me confier à Cassidy mais c'était fait. Et curieusement mon abandon momentané avait fait disparaître la gêne qui s'était installé entre nous après notre presque coït. Il avait semblé un moment surpris avant de répondre paisiblement. Maintenant, nous ressemblions à deux amis se racontant leur semaine autour d'une bière. Je ne savais pas comment je devais me sentir à ce propos mais je me laissais porter par l'ambiance. « Et bien pour une fois, on dirait que tu as fais un bon choix. Je ne me suis jamais sentie aussi bien quelque part depuis... Dublin. » . Bon atmosphère ou pas, j'avais conscience que j'allais trop loin. Garder mes états d'âme les plus intimes était ma règle d'or et j'étais en train de la briser pour rien du tout. Heureusement cette réplique se perdrait dans la masse de la conversation suivie que nous entretenions et qui semblait faite pour durer. Et le grand rire de Bingham quand je fis le triste inventaire de nos points communs m'offrit la diversion idéale. Nous avions meilleur temps de discuter de Freddy, un sujet très impersonnel qui empêcherait peut être mon cœur de s'emballer chaque fois que mon colocataire et sa jolie gueule souriaient. Cet orage m'avait vraiment déphasée. « J'aimerai bien aussi que Maggie crève mais on sait tous les deux qu'il n'y a pas la moindre chance pour que ça se produise. Les gentils gagnent toujours à la fin. C'est pour ça qu'en fait, je ne suis pas une grande passionnée de cinéma... Il faudra que je regarde un vrai Freddy à l'occasion. » . Je reportais mes yeux sur l'écran, où la dénommée Maggie se débattait comme un beau diable, semblant se diriger vers une très prévisible et ennuyeuse victoire, me donnant ainsi raison au passage...

Il y eut un nouveau moment de paix durant lequel aucun de nous ne prononça un mot et se concentra sur le navet que j'avais si gracieusement choisi. Malheureusement, mon interlocuteur avait relancé un débriefing sur le moment très gênant que nous avions partagé tout à l'heure et tout redevient parfaitement embarrassant. Je l'avais coincé avec une belle rétorque mais il m'avait prise au dépourvu en me faisant une réponse sincère et saisissante. Ainsi, si ça avait une autre, il serait parti ? Avais-je finalement, quelque chose de vraiment spécial à ses yeux ? Et pourquoi ça me faisait autant plaisir ? Merde, une nouvelle fois, je du lutter pour reprendre le contrôle et rester la Julianna que je devais être. « Voilà, comme tu l'as dit, il est difficile d'échapper à sa colocataire. C'est mieux comme ça. Et oui, tu as raison, c'est parfaitement flippant. » Hélas, mon petit Bingham n'avait pas la même force de caractère que moi. Il était bien trop sensible pour faire semblant de me détester et avoir l'air détaché alors qu'il m'avait mise nue dans son et pratiquement sautée. Il était moins hypocrite et dans le déni que moi. Il comprenait que les choses avaient changé entre nous. Il enfouit sa tête entre ses mains, poussant l'aveu malgré mon attitude revêche. « Tain… j'sais pas ce qui me prends, c'est la première fois que je parle comme ça à quelqu'un. » Le dramatique était poussé à son extrême, tant par cette déclaration que par la vision de Maggie tuant ce qui avait été un jour la légende des tueurs en série psychopathes. Je pris les choses en main. Pour de vrai cette fois-ci. Je me mis debout, quittant le lit, posant ma bière presque vide sur la table de chevet. « T'inquiète, tout a été tellement bizarre cette nuit que c'est rassurant qu'on perde les pédales. Je crois que je vais aller dormir quelques heures avant le boulot, ça sera mieux. Bonne nuit. » . Je lui décrochais une petite bourrade avant de m'éclipser. Ou plutôt de m'enfuir, car j'avais vraiment eut envie de le réconforter beaucoup plus que ça... Et je m'en voulais. Tout comme je m'en voulais de ressentir ce désir charnel pour lui. Je savais qu'à partir de maintenant ma vie serait plus compliquée que jamais.

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